« Sans la France que serait la Bretagne ? » par Fransez Debeauvais (1933)

Que serait la Bretagne sans la France ? Mais elle se porterait très bien.

Nous savons ce qu’est la Bretagne avec la France, par la faute de la France : un pays qui se vide de sa personnalité et de sa qualité de nation, un pays privé du droit élémentaire de se gouverner lui-même et de cultiver sa langue, un peuple saigné dans la guerre, et vidé de ses richesses dans la paix.

Sainte Anne d'Auray
La Bretagne a payé de centaines de milliers de vies son appartenance à la France

Supposons l’indépendance réalisée. Le peuple breton adopte l’organisation politique de son choix. Un gouvernement breton, interprète des besoins de la nation, prend la place du gouvernement français et au lieu de diriger la Bretagne, à trois cents kilomètres de distance, l’administre et la conduit sur place en toute connaissance de cause.

Les préfets irresponsables devant le peuple breton sont remplacés par les mandataires d’un gouvernement national, dans les cadres d’une organisation administrative plus adaptée aux besoins du pays que les cinq départements actuels, défis au bon sens et à la géographie.

Les assemblées locales, communales, cantonales et provinciales retrouvent initiative et capacité.

Les assemblées professionnelles et corporatives, dont le rôle est à peu près inexistant aujourd’hui, participent avec le gouvernement à l’élaboration d’un statut économique et social adapté aux nécessités de l’heure.

L’agriculture et l’industrie bretonnes bénéficient d’abord de l’exacte et proche administration dont profite le peuple breton tout entier. Elles peuvent se développer librement et ne sont plus soumises aux restrictions qui les frappent en régime français. Le gouvernement breton pratique la politique douanière qui répond aux besoins de la Bretagne. Il traite sans entrave, dans le cadre des grands courants économiques internationaux, avec les pays étrangers qui ont besoin de notre production. On ne voit plus les primeurs bretons arrêtés vers l’Angleterre, parce que les charbonnages français imposent à leur gouvernement le contingentement des houilles anglaises ; les débouchés espagnols et portugais fermés aux Bretons parce que les vins de Porto font tort aux Banyuls du Midi de la France ; le poisson de Dieppe vendu à Brest, pendant que nos pêcheurs crèvent de faim, parce que rien n’est prévu pour les protéger de la concurrence.

Centralisation France
Le centralisme français s’observe dans tous les domaines, ici dans le transport ferroviaire.

L’existence d’une monnaie d’échange bretonne : nos produits agricoles permettront de vivre et d’équilibrer notre balance commerciale, car il ne faudrait pas croire que la Bretagne est une charge pour la France. C’est au contraire un gain. Le peuple breton donne plus qu’il ne reçoit, c’est un fait et dans l’hypothèse même d’une fermeture quasi générale des frontières, la Bretagne est encore l’un des pays qui pourra plus facilement se tirer d’affaire car elle a, au moins, sur son sol de quoi manger. Elle ne connaîtra pas l’immense chômage d’une population industrielle, puisqu’elle n’a pas de grande industrie.

Reste l’objection de la situation internationale d’un Etat breton : la Bretagne sera écrasée entre la France et l’Angleterre ou bien l’objet des convoitises de l’Allemagne, disent les adversaires. On ne voit pas bien l’Allemagne à Brest tant que la marine anglaise garde la supériorité sur les mers européennes. Quant à l’Angleterre, le temps des aventureuses conquêtes continentales est passé. On oublie toujours que la politique anglaise depuis la fin du moyen âge n’est plus de s’installer sur le continent, mais bien de garder son « splendid isolement » tout en cherchant à empêcher la suprématie d’une nation continentale sur l’Europe.

Duché de Bretagne
Le duché de Bretagne défendait l’indépendance bretonne contre les appétits français et anglais

Mais il y a les Français. Ceux-ci ne lâcheront pas volontairement la Bretagne. Le problème est que la Bretagne devienne ingouvernable pour eux. L’Irlande l’a bien été pour les Anglais.

Après la libération, rien ne s’opposera à ce que des relations cordiales s’établissent entre Français et Bretons. Aux Bretons de tenir ferme d’ici là et de répondre à nos voisins, avant d’engager la conversation : Sortez d’abord.

Une fois dehors, la fine politique française sera d’entretenir les meilleurs rapports avec la Bretagne. Elle sera pleine d’attention, à notre égard, afin de ne point faire le jeu de ses ennemis.

Et nos adversaires d’aujourd’hui seront peut-être nos alliés d’après-demain.

Breiz Atao
Breiz Atao, le journal de la Bretagne libre !

« Jos Le Bihan » (Fransez Debeauvais) dans Breiz Atao, 1933

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